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Le Dernier Eté de raison, de Tahar Djaout:

Témoignage d’un condamné à mort

Les milliers de jeunes couples qui se baladent avec insouciance dans les rues de nos villes, sur les campus, aux alentours des établissements scolaires…apportent un élément de réponse à Boualem Yekker, le personnage le plus visible du Dernier Eté de raison de Tahar Djaout, publié à titre posthume chez Le Seuil.

Avant de tirer sa révérence, Boualem, «corrodé» par le doute, s’est interrogé si «le printemps reviendra». Le livre se termine par cette lourde question. Seul face à la mort qui s’est glissée jusqu’à son lit, il tente désespérément de reconstituer les morceaux épars de sa trajectoire personnelle. Il retrouve le souvenir Kenza, sa propre fille, quand elle s’essayait aux premiers pas de son existence. Par contre, il n’arrive pas à repérer les logiques qui l’ont amenée, elle, ainsi que sa mère et son frère, à déserter et à bannir ce père qui persiste à refuser de « bêler à l’unisson». Pourtant, ce chef de famille, libraire de profession affectionnant les arts et les choses de l’esprit, s’est toujours montré tolérant et affectueux à l’endroit des siens. D’ailleurs, un des derniers moments partagés par cette famille avant la dislocation de celle-ci est le mois passé sur une côte pas loin d’Alger.

C’était le dernier été avant que le pays ne bascule dans l’absurde où l’interdit est désormais érigé en règle d’existence. Cette restitution désordonnée de faits, d’événements, d’anecdotes, d’impressions et de souvenirs confère à l’œuvre la présentation d’un journal plutôt que d’un roman. La volonté du narrateur de consigner dans une perspective de témoignage est trop claire. Au point que par moments, l’anodin déborde la sphère strictement individuelle pour se hisser au rang de facteur élucidant une histoire collective.

Produit de la fiction, le dernier écrit de Tahar Djaout est nourri, à outrance, de la réalité des débuts des années 1990 où l’islamisme était dans sa phase ascendante. Il nous décrit, à la manière d’un anthropologue averti, comment une société s’est laissé entraîner par une sorte de barbarie irréelle. Comment des jeunes de l’âge du fils de Boualem, pas encore totalement départis de leur adolescence, ont été fascinés par le culte de la mort. La leur en premier lieu, avant de songer à l’administrer à tout ce qui ose opposer une quelconque résistance à l’ordre rampant.

L’anachronisme de Bouligha, le dernier complice de Boualem, participe paradoxalement à entretenir la lucidité se dégageant du livre. Son obsession, à savoir l’idée du tremblement généralisé, s’avère plus qu’une prémonition. L’ordre nouveau « que proposent «les Frères de la vertu» déclare la guerre au livre, combat la pensée et l’esprit, récuse le beau, criminalise l’amour… et efface les femmes et les jeunes. Ces deux catégories acceptent de devenir ses instruments d’exécution les plus efficients. Pour des raisons encore à élucider, Tahar Djaout a fait preuve de beaucoup d’économie dans ce livre. Il s’est interdit toute envolée lyrique.

Il est resté très concis et extrêmement sobre. Les seules fantaisies qu’il s’est permises sont l’évocation, très empreinte d’amertume, de quelques-unes de ses préférences littéraires et artistiques. Il donne l’impression qu’il a presque volé les moments d’écriture de ce roman. Parce qu’il se savait condamné par le terrorisme.


Tahar

Il avance
La tête haute et solaire
Marquée du signe de son ascendance
les hommes à la pureté verticale

Dans ce matin si tiède
Le grand ordonnateur clame :
"Tuez-le mes fils
Il couve un verbe subversif "

Sa tête
Antre de chair et de ferveur
D'obstination et de tourment
Glisse vers les rives sombres
Au plus ténu d'une frontière
Persiste un point de lumière
Une prière

Mots brûlants
Brisez le givre du désespoir
Paroles d'or et d'argent
Retenez Tahar

Retenez Tahar
Poète-laboureur indispensable
A la levée des moissons

Mais s'élève la complainte funèbre
Le temps lacéré dénude l'été
Tahar n'est plus ne sera plus
Irrémédiable indicible absence


Soumya Ammar Khodja

 
  © 2006   - Par TADJENANET au service de la culture Kabyle.